La singulière histoire d'un huguenot français au 18ème siècle
Par Myriam Garnier, Mai 1998
"Plutôt abandonner son bien-être que de soumettre sa conscience
à l'autorité absolue : monarchique et ecclésiastique"
(texte du XVIIIe siècle)
C'est ce que choisit Pierre F. en franchissant le porche de sa demeure
familiale dans le Sud-Ouest de la France, en 1716, date de sa majorité (25 ans
à cette époque). Huguenot, il va cette année-là affronter les dangers d'un
voyage clandestin vers l'Angleterre, devenir "mort pour le Royaume de France",
et surmonter la désapprobation de sa famille. Le roi Louis XIV, décédé l'année
précédente, avait laissé à ses héritiers le soin d'appliquer les effets de la
Révocation de l'Edit de Nantes aux Protestants.
Après un séjour en Angleterre, Pierre F. est envoyé avec d'autres
huguenots au Portugal par le gouvernement anglais, afin d'y exercer un Négoce
d'Import-Export entre les royaumes d'Angleterre et du Portugal. Un contrat
entre les états stipule que les protestants anglais et français n'auront pas à
subir l'Inquisition pratiquée au Portugal contre les hérétiques.
A Versailles, le Contrôleur du Royaume, Machaut d'Arnouville, juge que le
retour des huguenots pratiquant de Hauts Négoces serait un bon apport pour la
France. Il adresse donc une invitation de retour à Pierre F., et une
introduction auprès de l'Intendant de Guyenne, le Marquis de Tourny. Ce
dernier, qui a la charge d'éliminer les huguenots du royaume, se voit dans
l'obligation d'exécuter cet ordre venant du Contrôleur Général du
Royaume : protéger un huguenot. Pierre F. rentre en France,
avec sa famille, en 1750.
Le Marquis de Tourny fait part de cet ordre, reçu en mai 1750, à l'évêque
d'Agen, qui est profondément scandalisé d'une telle décision. Cet évêque écrit
alors à Machaut d'Arnouville une lettre qui sera connue dans les autres pays
protestants d'Europe. Voici quelques extraits de cette missive de
protestation :
"Quoi donc ! Serait-il possible qu'on voulût rappeler les Calvinistes dans
le royaume ! Pourrait-on oublier que leur secte dès sa naissance fut
l'asile des Princes et des Seigneurs de la Cour indisposés contre le
Gouvernement ; d'avoir été à la veille de nous priver d'un des plus grands
rois qui ont occupé le trône... L'époque de leur destruction est celle de la
grandeur de la Monarchie... La Révocation de l'Edit de Nantes, est l'effet
d'une profonde méditation du roi Louis XIV, par une exacte connaissance des
sentiments de ces pernicieux sujets, qu'il se détermine à frapper d'un coup
d'éclat, si l'on veut considérer les principes du Calvinisme, on verraqu'ils
sont ennemis des rois et opposés à la Monarchie. C'est la Religion Catholique
qui est la véritable gardienne du repos des Peuples et de la personne des Rois,
tous ses principes tournent à l'avantage de l'autorité des premiers Pasteurs,
dans les choses spirituelles et l'autorité des Princes dans le temporel,
ordonnant aux Peuples de se soumettre à chacune d'elles dans l'ordre où elle
est établie. Je crains une religion qui laisse à chacun la liberté de se faire
un culte tel qu'il le veut...
Les Réformés ont eu la témérité d'établir chaque particulier juge de sa
foi ! Quoi l'artisan, le laboureur, sans connaissances, sans lettres, sans
principes, entreprendrait d'examiner les Livres Saints, de concilier leurs
textes, de discuter les principes profonds de la doctrine céleste ? Ils
sont républicains par système... Nous ne serons pas témoins du libre exercice
du Calvinisme, non le Fils, l'Héritier, l'imitateur de Louis le Grand ne
rétablira pas les Huguenots."
Agen ce 1er May 1751
Cette lettre, publiée à Dublin en 1751, se trouve à la Huguenot Society de
Londres et à la Bibliothèque du Protestantisme à Paris. Elle a suscité des
réactions diverses, dont celle intitulée "Lettres d'un Curé du Midi
défendant les huguenots", celle d'Antoine Court, professeur de théologie
protestante à Lausanne, ou celle de Voltaire, qui cîte le cas de
Pierre F... et commente négativement, en termes lapidaires, la lettre de
l'évêque d'Agen dans ses Oeuvres Complètes Tome 28 "Mélanges
historiques" en 1769.
Malgré ces réactions positives diverses, cette lettre réveillera une certaine
menace, un malaise entre protestants et catholiques, c'est-à-dire de nouveaux
des dangers pour les protestants.
Toutes ces rumeurs déterminent Pierre F... à rester discrètement dans son
domaine. Au lieu de se présenter lui-même pour "rendre Hommage au Roi" (i.e.
Régler ses Impôts) comme le veut la coutume pour un possesseur de Fief, il se
fait remplacer par un procureur, et charge un ami de régler ses aumônes aux
"Petits Pauvres Honteux" (S.D.F. de l'époque) des environs. Il décède en 1759,
sa soeur Catherine l'année suivante. Son fils, âgé de seize ans devient alors
maître du domaine.
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Ce document est l'adaptation d'un extrait du livre "Une Famille Protestante et
ses alliances en Périgord- Quercy- Dordogne (XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles) par
Myriam Garnier, enregistré à la Bibliothèque du Protestantisme Français,
54 rue des Saints-Pères, 75007 Paris, FRANCE
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